L’épicerie de Mohamed

la consigne: faire dialoguer des aliments d'origine étrangère

Une lumière s’éteint. Un bruit de serrure. fermeture volet coulissant. Un homme s’en va. Intérieur magasin.

MENTHE:   N’ânaâ atay! C’est l’heure du thé!

Une vieille bouilloire crachote grassement le calcaire qui l’encombre

SUCRE FIN:   A mon commandement… tenez-vous prêts… Sautez!

TI SUCRE SEMOULE (arrivant au pied de la théière):   Prems! prems! C’est moi qui ai ga-gné et vous vous avez per-du

Une armada de sucres en morceau plongent tour à tour dans la théière de façon rythmée. Tout cela avec une sérénité parfaitement ordonnée.

SUCRE EN MORCEAU:   Plouf

UN AUTRE SUCRE EN MORCEAU:   Plouf

CANDY:   Awet de t’épapiyé comm ça et wassemb ti espwit ti sucw. cess de faiw le foufou! tu veu finiw comm eu hé!

SUCRE EN MORCEAU:   Plouf

CANDY: Non mè wegard-les hé! Y se swicident sans wien diw.

MENTHE:   Personne ne résiste à mon parfum

CANDY:   Ti sucw viens là hé! Vien faiw un calin à mama

TI SUCRE SEMOULE:   il est où papa?

CANDY:   Papa rhum dow toujou’. il a ‘cor’ fait la fête hier’ tsss. son ami café é lui sont incowigibl.

CACAO:   Qu’est ce que tu racontes encore à propos de mon mari? au moins le mien il tient debout.

CANDY ( à Ti Sucre Semoule):   Hé wappel ta soeu’ Limonade. Je veu pas qu’elle traîne près des alcools hi!

LOUKOUM:   Loukoum? loukoum?

Les petites pâtes sucrées rebondissent mollement d’étagère en étagère

SPAGHETTI (aux Mikado):   Ca vous dit une petite partie?

MIKADO:   Pas la peine de demander, on est toujours ok, pas vrai les gars?

SPAGHETTI:   Super! Baguette? tu veux bien nous servir d’arbitre?

MIKADO:   Ce vieux bout tout sec dans sa corbeille là? Tu veux rire?!

BAGUETTE:   Et là, un peu de respect pour les anciens

MIKADO:   Désolé mon vieux, je voulais pas te froisser… Z’êtes prêts les novices? Que la partie commence!

SAUCE BARBECUE:   Amusez-vous seulement. Ca va pas durer longtemps. Bientôt l’été sera là. Vous fondrez ou, au mieux, vous vous décolorerez. On ne voudra plus de vous, je serai le Roi! Les parcs, les terrasses, les cours et jardins, personne ne voudra se passer de moi.

CAVIAR:   Si tu crois qu’être de toutes les fêtes fait de toi un roi… tu n’as absolument rien compris à la vie. Enfin, heureusement qu’il existe des gras, sales et répugnants tel que vous pour que notre supériorité puisse rayonner.

POP-CORN:   Parce que prendre la poussière depuis des lustres dans ce vieux drugstore te rend supérieure ? Tu crois réellement qu’un jour quelqu’un viendra pour toi ? T’es pas la reine de la high society, t’es la reine des rêves pourris ! Rendors-toi Cendrillon, et contente-toi de pleurer.

SAFRAN:   Les écoute pas.. Ils sont assez imprévisibles tu le sais, non ? Ils sont un peu sorti de leurs gonds mais on peut pas dire que tu les as pas chauffés..

POP-CORN:   Alors Caviar ? Ça baigne ?

SAUCE BBQ (cherchant à imiter):   Comment allez-vous très cher ? Voulez-vous un canapé ?

POP-CORN:   Qu’est ce qu’on s’éclate !

SAFRAN (à Caviar):   T’inquiète, je suis sûr qu’un jour viendra. Regarde les chips par exemple. Tu te souviens de cet homme pressé en vanity-case qui est venu en emporter ? Il avait même laissé à Mohamed le reste de monnaie sur son billet de 50. Le monde change Caviar, le monde change..

ORANGE:   Qui veut jouer à un, deux, trois soleil ?

PECHE, PASTEQUE, BANANE, TOMATE, AUBERGINE, ABRICOT, ANANAS, HARICOT:   Moiiiii

ORANGE (à Haricot):   Nan On veut pas de toi ici, Dégage

AVOCAT:   Oh Oh Oh Minute. Que lui reprochez-vous exactement ?

ORANGE:   On l’aime pas c’est tout

ABRICOT:   Il me fait peur

BANANE:   Trop rigide, tout sec

PASTEQUE:   Froid, sans humour

TOMATE:   Il est tout blanc, il n’a aucune allure

AVOCAT:   Vos reproches sont infondés

HARICOT:   Vous dites cela parce que vous avez peur que je gagne. Moi au moins, je sais rester statique et figé. Pas comme vous, de véritables chiffes molles

AVOCAT (à Haricot):   Heu.. vous aggravez votre cas

PECHE (à Haricot):   Tu veux que j’te foute mon poing dans la gueule ?

TOMATE:   J’ai des contacts avec Mozza et Pesto. Faits gaffe à toi Haricot, un mot de plus, et on te plonge dans de l’eau bouillante, on verra c’est qui la chiffe molle

BOUILLOIRE:   Crrr crrr

On croit qu’elle veut dire quelque chose, mais on n’entend que des crachotements

AVOCAT:   Heu.. on se calme, on se calme

CACAHUETE:   Yo les gars, arrêtez de vous prendre la tête pour des bêtises

TOMATE (encore plus rouge, sur le point d’éclater, à Cacahuète):   Des bêtises ? Des bêtises ? Et si je te croquais en deux ? Qu’est ce que tu dirais de ça ?

POP-CORN (sautent dans tous les sens):   Banzaaaaï

MIKADO (à Pop-Corn):   Pfff faites pas comme si vous étiez des super ninja

PECHE (à Avocat):   Tiens prends-ça !

ORANGE:   A l’abordage camarade, chargez les boulets de canoooons !

RHUM (se réveillant, groggy):   Hi ! Enfin ça bouge ici

CANDY (à Rhum):   Te mêl pa de ça chéwi

CAFE (excité):   Y a d’la fight, y a d’la fight

VODKA (comme folle):   Hahahaha

Haricot, Cacahuète, Quinoa, Cajou, Couscous, Chocolat contre Mozza, Pesto, Tomate, Pèche, Orange, Banane, Pastèque, Abricot

SIROP (doucement à Sorbet):   J’vais répandre le bordel, on va s’marrer un peu

Vodka, Rhum, Café, Pop-Corn, Sucre Semoule, Sirop, Sauce Barbecue et Chips foutent le souk

Et ça crie, et ça saute, et ça se cogne, et ça s’écrabouille. Un vrai carnage dans l’épicerie de Mohamed

CAFE:   Déjà ? Debout tout le monde ! Le soleil vient de se lever

Grand silence dans le magasin

CAVIAR:   Quel bande de sauvages. Béni soit le jour où je sortirai d’ici

Bruit de volet. Clic clac serrure. Mohamed allume la lumière et écarquille les yeux

– FIN-

L’héritage

La consigne: utiliser dans votre texte 50% des mots d'italien que l'on retrouve dans la langue française aujourd'hui

Il faisait beau. J’avais du temps avant mon rendez-vous à la BANQUE. Je décidai de m’asseoir à la terrasse de la PIZZERIA. Je commandai un CARPACCIO de MOZZARELLA et des CANNELLONIS au PESTO. Une femme jouait un OPERA sur le PIANO public devant une superbe fresque GRAFFITI. Des étudiants sortirent de l’ACADEMIE et s’appuyèrent sur le PARAPET. L’un d’eux, étonnement mince, s’avança nonchalamment tel un long SPAGHETTI dans son PANTALON slim moutarde et improvisa A CAPPELLA. Des touristes, passant par là, jouaient les PAPPARAZZI avec entrain. La CORNICHE fleurie, la gueule de MAFIOSO du patron et le goût du CHIANTI frais donnaient à mon après-midi des airs de DOLCE VITA.

L’homme au ginseng

Il y avait tout ces hommes des quatre coins du monde. Chacun portant leur histoire

lourdement, pesamment. Et dont les poches étaient vides.

Ils étaient entassés là, tous reclus, parqués. Des sans abris dans cet immense refuge de nuit. C’était l’hiver.

Parmi eux, il y avait cet homme. Immense, les épaules voûtées, la barbe broussailleuse, les cheveux longs, sauvages et les yeux vides.

Cet homme venait de l’Est. Il s’en venait de la guerre. Là-bas, dans les montagnes il avait tuer des hommes. Ses poings étaient énormes.

Il marchait lentement en errant dans les couloirs.

Il n’était pas le seul. De nombreuses sandales, souvent trop petites, usées, raclaient les sols des corridors. Des groupes s’animaient là où ils le pouvaient, de la cour s’enfumant au séjour ne comptant qu’à peine deux sofa pour plus d’une centaine d’hommes. Dans les dortoirs, les bandes s’organisaient . Un microcosme géopolitique ne tenant qu’à un fil.

Allez expliquer à un géorgien qui n’a jamais vu un noir, que non, ça n’est pas correct de l’imiter comme un singe se grattant sous l’aisselle.

Allez expliquer à un serbe qu’il ne peut pas régler ses comptes avec son voisin croate, que non ce lieu n’est pas fait pour ça et qu’il faut vivre ensemble.

Allez donc dire aux gispy que non, on ne peut pas se servir un repas aux enfants qui n’ont pas mangés parce que c’est trop tard, la cuisine est fermée.

Allez donc dire aux alcoolos que bien sûr on ne peut pas rentrer avec une canette, même rien qu’une.

Allez donc dire aux musulmans que désolé vous êtes allez à la mosquée mais la grille est fermée non Dieu n’a rien à faire là dedans c’est le couvre-feu et vous sentez l’alcool.

Heureusement, les collègues étaient là pour veiller au grain. Mon boss était grand. Farouche, il aboyait pour faire régner l’ordre des possibles. Et il se faisait respecter. Mais ça ne l’empêchait pas d’avoir peur de lui : l’homme au ginseng. Le grand, le terrible, celui qui, inexpressif, terrorisait tout le monde. Parce qu’on ne savait pas quand il allait se réveiller et commettre quelque chose d’affreux, d’incontrôlable. Ce genre d’homme qui a connu des atrocités et qui s’est mis en veille, anesthésié jusqu’à ce que une étincelle dans ses yeux ne vienne raviver on ne sait quel souvenir déclencheur.

J’étais seule dans l’infirmerie. Et cet homme vint me demander « Something for my brain » avec son accent prononcé d’une voix grave, tonale. Et pourtant j’y décelai une note de détresse. Ou peut être était-ce son regard, dans le vague, qui ne me fixait pas. Un grand enfant, dont les yeux criaient une douleur trop lourde.

Je ne suis pas infirmière, ni docteur. Je peux faire un pansement si je trouve le nécessaire dans les armoires presque vides. Je ne peux délivrer aucun médicament.

Devant moi, l’imposant bonhomme, immobile. Ses yeux me voient, attendent. Il est redevenu un guerrier. Il a donné un ordre. Il a mal. Il est perdu. Il peut devenir fou de douleur. Il me dit « My brain ». Il n’a pas dit « ma tête », il a dit « mon cerveau ». Ses doigts tapotent son crâne pour me montrer.

Dans l’armoire, des boîtes de vitamines. Je choisi le GINSENG.  C’est bon pour le cerveau lui dis-je « ça aide le cerveau. Ginseng good for brain ». Je lui donne deux comprimés. Ce ne sont que des vitamines. Et le corps de l’homme exprime une sorte de relâchement, de contentement par ses mains accueillant ces placebos comme un sésame. Une incroyable force de reconnaissance naquit sur ses lèvres en un sourire et il formule des « thank you, thank you » en chaîne.

Un homme, une bête, que je n’ai jamais plus vu sourire. Et qui errait tous les jours, perdu, isolé, dans un monde qui lui appartenait, couvant ses démons intérieurs grâce à sa carapace menaçante.

Et chaque jour, fidèle au ginseng, me livrant les clés de sa convalescence, me permettant de prendre soin de ses esprits, il venait chercher sa capsule.